De la rémunération “au feeling” à la gouvernance salariale : un changement devenu incontournable
Dans la première partie de cette série, nous avons montré comment la croissance de l’entreprise rend l’approche intuitive de la rémunération insuffisante. À partir d’un certain seuil, la politique salariale doit être pilotée, structurée, objectivée.
Cette deuxième partie s’intéresse à la transformation profonde des pratiques de rémunération : comment passer d’un système historique, souvent basé sur des habitudes ou des arbitrages individuels, à une politique de rémunération maîtrisée, équitable, pilotée et alignée sur la stratégie globale ?
Ce changement n’est pas qu’une évolution technique. C’est une révolution culturelle qui touche à l’équité interne, à l’attractivité, à la gestion des compétences, au pilotage budgétaire et à la performance globale.
Le premier pilier : construire une cohérence interne solide
Pourquoi la cohérence interne devient stratégique
Dans les entreprises en croissance, l’un des premiers risques est l’apparition de décalages de rémunération non justifiés. Ils peuvent être la conséquence de :
- Recrutements à des salaires plus élevés, pour attirer plus vite ;
- Augmentations individuelles accordées sans cadre clair ;
- Mobilités non harmonisées ;
- Revendications traitées au cas par cas (surtout) ;
- Absence de repères partagés sur les responsabilités des postes.
Au début, ces écarts sont invisibles. Puis, progressivement, ils génèrent :
- Des tensions entre équipes (“Pourquoi ce collègue gagne-t-il plus ?”) ;
- Des injustices perçues, même si elles ne sont pas volontaires ;
- Un sentiment de perte d’équité, premier facteur de démotivation ;
- Des départs non anticipés de talents clés ;
- Une perte de crédibilité managériale.
La cohérence interne n’est donc pas un luxe RH : c’est un socle de stabilité sociale.
La classification des emplois, fondation de toute cohérence interne
Pour garantir cette cohérence, l’entreprise doit pouvoir répondre objectivement à une question majeure : quelle est la valeur relative de chaque poste, chaque emploi ?
C’est tout l’objectif de la pesée et de la classification des emplois :
- Définir des familles professionnelles (ou « filières d’emplois ») claires ;
- Définir des emplois repères stables et compréhensibles ;
- Positionner les postes / les emplois par niveau de responsabilité, de complexité, d’impact ;
- Poser une architecture qui servira ensuite à la rémunération et aux parcours de carrière.
Sans classification, impossible d’établir des salaires cohérents. Avec une classification solide, l’entreprise dispose d’un cadre clair, notamment pour :
- Fixer un salaire d’embauche juste et cohérent avec les pratiques salariales internes;
- Évaluer et fixer la progression salariale ;
- S’assurer de l’équité salariale (cf. Directive Européenne sur la Transparence et l’Égalité des Rémunérations) ;
- Maîtriser la masse salariale dans le temps.
L’importance du référentiel de compétences
La classification seule ne suffit pas. Elle doit être complétée par un référentiel de compétences qui permet de :
- Décrire les attendus de chaque poste ;
- Objectiver les besoins en formation ;
- Fiabiliser les critères d’évolution salariale ;
- Renforcer le lien entre compétences et rémunération.
Un système de rémunération moderne repose toujours sur : poste + compétences + performance.
Le deuxième pilier : l’alignement sur le marché externe
Pourquoi l’alignement marché est devenu central
À l’époque où les entreprises recrutaient peu et où les carrières étaient plus linéaires, ne pas suivre le marché n’était pas un vrai problème. Aujourd’hui, c’est un risque majeur.
Avec la tension généralisée sur l’emploi, les nouveaux modes de travail, l’hyperconcurrence entre employeurs et la transparence des salaires (Glassdoor, Indeed, Simulateur de salaires WAAGE, réseaux sociaux…), il est impératif de savoir : où se situe l’entreprise par rapport au marché ?
Un écart durable peut avoir des conséquences fortes :
- Difficultés de recrutement ;
- Turnover élevé ;
- Surexposition aux contre-offres ;
- Perte d’attractivité employeur ;
- Inflation salariale incontrôlable.
Les outils pour suivre le marché : benchmarks et études
Un bon benchmark de rémunération permet de comparer les rémunérations internes avec celles du marché pour :
- Ajuster les grilles ;
- Revoir les fourchettes salariales ;
- Identifier les métiers en tension ;
- Prévoir les besoins d’ajustements budgétaires ;
- Décider d’un positionnement stratégique (1er quartile, médiane, marché haut…).
Des outils comme WAAGE PRO permettent de modéliser ces écarts et de simuler les impacts financiers.
Trouver le bon positionnement
Le positionnement marché doit être un choix stratégique délibéré, et non subi. Trois options principales :
- Positionnement médian : attractif + soutenable ;
- Positionnement premium : utile pour les métiers critiques ;
- Positionnement sous-médian (rare) : possible seulement si une forte proposition de valeur RH compense.
L’essentiel est la cohérence globale : être compétitif là où c’est stratégique et rationnel sur le reste.
Le troisième pilier : transformer les pratiques internes
Faire évoluer la culture managériale
Une politique de rémunération moderne repose sur des pratiques managériales professionnelles. Cela implique :
- D’expliquer les fourchettes salariales ;
- D’objectiver les demandes d’augmentation ;
- D’utiliser les classifications et les critères de progression ;
- De sortir du “je fais comme je peux avec mon budget”.
Sans accompagnement des managers, les dérives reviennent rapidement.
Passer à une logique de pilotage salarial
Une politique de rémunération moderne s’appuie sur :
- Des données consolidées ;
- Des règles documentées ;
- Des outils de simulation ;
- Des arbitrages structurés ;
- Une gouvernance claire.
Ce changement demande un effort organisationnel, mais c’est la seule voie pour éviter l’inflation salariale non maîtrisée.
Intégrer la rémunération dans les trajectoires de carrière
La rémunération ne peut plus être dissociée des questions de :
- Mobilité interne ;
- Gestion des talents ;
- GPEC / GEPP ;
- Formation / montée en compétences ;
- Parcours professionnels structurés.
La politique salariale devient alors un véritable outil de fidélisation.
Conclusion : la politique de rémunération entre dans une nouvelle ère
Cette deuxième partie met en lumière une réalité désormais indiscutable : la rémunération ne peut plus être gérée comme autrefois.
L’entreprise doit désormais concilier trois dimensions :
- Cohérence interne : classification, équité, transparence ;
- Alignement marché : attractivité, compétitivité, anticipation ;
- Excellence opérationnelle : pilotage, outils, gouvernance.
Dans la troisième partie, nous verrons comment construire une politique de rémunération globale cohérente et comment articuler salaire fixe, variable, avantages périphériques et épargne salariale dans un ensemble homogène et lisible.
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Article mis à jour le 1er décembre 2025



