Méthodes de pesée et classification des emplois : faut-il remettre en question nos fondations ?

La question peut sembler provocatrice, mais elle est pourtant légitime : les entreprises et les cabinets de conseil qui continuent d’appliquer les mêmes méthodes de pesée et de classification depuis plus de soixante ans ne sont-ils pas en train de passer à côté d’une réalité nouvelle ?

Nous l’avons vu dans les parties précédentes : les systèmes de classification des emplois et d’évaluation des postes impactent directement la politique salariale, la gestion des emplois et, plus largement, la stratégie RH. Lorsque les outils utilisés sont anciens, peu adaptés au contexte actuel ou insuffisamment révisés, ils peuvent conduire à des réflexions, voire des décisions, en décalage avec les enjeux contemporains.

Des méthodes de classification fondées sur des critères historiques

La majorité des critères utilisés aujourd’hui dans les méthodes de pesée – même dans les versions modernisées – proviennent de deux grandes références :

  • La méthode HAY, conçue dans les années 1945-1950 aux États-Unis pour l’armée américaine ;
  • La méthode Parodi, développée à la même époque pour l’évaluation des agents de la fonction publique française.

Depuis leur création, ces méthodes ont certes évolué, mais elles reposent encore largement sur des critères « standards » tels que :

  • Le niveau de formation requis ;
  • L’expérience nécessaire ;
  • Le degré d’autonomie ;
  • Le niveau de responsabilités ;
  • L’étendue des relations interpersonnelles.

Ces critères sont indispensables, mais ne suffisent plus à refléter la réalité des emplois dans un monde instable, digitalisé et en transformation permanente. Ils évaluent globalement la structure du poste, mais pas toujours son importance critique pour l’entreprise.

Des méthodes qui reproduisent une hiérarchie devenue “standard”

Appliquées depuis des décennies, ces méthodes ont conduit à reproduire – d’une entreprise à l’autre, d’un pays à l’autre – une hiérarchie relativement uniforme des fonctions. On peut même affirmer que, dans une certaine mesure : « la méthode a créé le marché ».

Pourquoi ? Parce que la plupart des enquêtes de rémunération, depuis trente ans, s’appuient sur la comparaison des scores de pesée pour définir les niveaux de salaires. Ainsi, les mêmes critères génèrent les mêmes cotations… qui génèrent les mêmes fourchettes de rémunération.

Ce système fonctionne parfaitement dans un environnement :

  • Stable ;
  • Prévisible ;
  • Faiblement disrupté par la technologie ou l’incertitude ;
  • Où les métiers évoluent lentement.

Mais notre monde ne ressemble plus à celui des années 1950.

Un environnement bouleversé : les limites des modèles traditionnels

Les trois dernières décennies ont été marquées par des transformations profondes :

  • Essor de l’informatique et des systèmes d’information ;
  • Mondialisation et intensification des échanges ;
  • Accélération de l’innovation technologique ;
  • Digitalisation des organisations ;
  • Multiplication des crises (financières, sociales, climatiques, sanitaires…).

Ces mutations ont provoqué un changement majeur : l’incertitude est devenue la norme. La crise financière de 2008, puis la crise du Covid-19, illustrent parfaitement la nécessité pour les entreprises de :

  • Renforcer leur résilience ;
  • Gagner en agilité ;
  • Se concentrer sur leur “core business” ;
  • Identifier les métiers réellement critiques ;
  • Reconnaître et valoriser les compétences clés.

Dans ce contexte, certaines fonctions longtemps considérées comme secondaires se révèlent en réalité indispensables à la continuité d’activité.

Métiers essentiels vs. métiers valorisés : une incohérence révélée

La crise du Covid-19 a mis en lumière une contradiction majeure : la hiérarchie salariale héritée des méthodes de pesée ne reflète pas toujours la véritable valeur ajoutée de certains métiers.

Le journaliste Jean-François Kahn résumait cette idée dans un édito très commenté, en écrivant : « Les éboueurs absents deux mois : insupportable ! Les administrateurs de sociétés empêchés quatre mois, on ne s’en aperçoit pas. Sans caissières de supermarché, bernique les pâtes et le papier toilette. Sans conseillers marketing, je ne manque de rien. »

Même si cette citation est volontairement provocatrice, elle pointe un sujet réel : certaines professions, cruciales en situation de crise, ne sont pas valorisées à leur juste mesure.

Autrement dit : la hiérarchie issue des méthodes de classement traditionnelles ne capture pas la criticité réelle des métiers dans un environnement incertain.

Vers une remise à plat nécessaire des échelles salariales ?

Ces constats amènent plusieurs questions fondamentales :

  • Doit-on continuer à appliquer les mêmes critères d’évaluation qu’il y a 70 ans ?
  • Faut-il intégrer de nouveaux critères : agilité, résilience, contribution critique, continuité d’activité… ?
  • Les grilles salariales doivent-elles rester figées en période de crise ?
  • Comment revaloriser certains métiers sans déstabiliser l’ensemble de la structure salariale ?

Les organisations qui ont traversé les crises avec succès ont souvent su :

  • Valoriser les collaborateurs qui assurent réellement le fonctionnement de l’entreprise ;
  • Reconnaître les métiers essentiels à la continuité d’activité ;
  • Adapter rapidement leur organisation, leurs équipes et leurs priorités ;
  • Mettre en lumière les compétences clés — souvent invisibles en temps normal.

Résilience et agilité deviendront probablement les valeurs cardinales des organisations de demain. Et il est désormais évident qu’un réajustement des échelles salariales devra faire partie des réflexions structurantes.

La question n’est donc plus : « Les méthodes de pesée sont-elles obsolètes ? » mais plutôt : « Comment les adapter à un monde où la valeur d’un emploi se mesure aussi à son importance en situation critique ? »

 

Continuer la lecture de cet article en cliquant sur : Politique salariale, politique de rémunération : le début d’une révolution ? – Cinquième et dernière partie.)

 

 

Article mis à jour le 1er décembre 2025